Proust, Marcel
Folio classique, 708 pgs.
Edition
enrichie de Antoine Compagnon comportant une préface et un dossier sur le roman.
Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était
celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que
ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui
dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé
dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne
m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté... Mais, quand d'un passé
ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des
choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus
persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps,
comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le
reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable,
l'édifice immense du souvenir.